Introduction à la Sissiacratie
- johannfotsing
- 13 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 avr.
Le Cameroun est-il une démocratie ou une dictature ? C'est une question qui gène. De l'extérieur, la dictature camerounaise peut paraître évidente, du simple fait que le président actuel, vieux et croulant, se soit maintenu au pouvoir pendant plus de quarante années, grâce à des élections qui lui ont toujours donné des scores "soviétiques". Au Cameroun la question reste l'objet de débats interminables. La nature du régime politique est contenue dans deux opinions contradictoires. Au lieu de servir à éclairer les Camerounais, une question aussi fondamentale devient elle-même un problème, et finit par entretenir la confusion dans les esprits.
Ceux qui clament que le régime politique en place est une dictature font l'objet de la méfiance générale. Ils sont perçus comme des "extrémistes", des opposants négationnistes, des hommes et des femmes qui nient la réalité de la liberté dont il est tout de même possible de jouir au Cameroun. Leur but inavoué est de nourrir une colère qui mènerait le peuple camerounais au soulèvement. Pourtant, tous les Camerounais savent qu'ils ne vivent pas dans une démocratie. Ils savent, par exemple, qu'une liberté de bavardage tient lieu et place de liberté d'expression. Ils savent que ce qui a coûté l'élimination atroce et barbare d'un Martinez Zogo, comme de trop nombreux autres avant lui, ce sont les aventures qu'ils se sont permises, au vu et au su de tous les Camerounais, dans les méandres d'une gouvernance viciée.
Il n'en demeure pas moins que l'on continue de parler de démocratie. Il s'est passé que Paul Biya a détourné la démocratie qu'auraient dû accoucher les luttes politiques sanglantes des années 90. En s'assurant que le régime ait la façade d'une démocratie (multipartisme, élections, liberté d'expression, séparation des pouvoirs, etc.) sans jamais en avoir la substance (jeu électoral libre, ouvert et transparent, indépendance des pouvoirs, liberté de manifestation, etc.), il a désamorcé la soif ardente du peuple Camerounais de se constituer un État de droit. Et pour sceller l'arnaque, il s'est autoproclamé apporteur de démocratie au Cameroun, au mépris du sang versé et du sacrifice de l'ensemble du peuple Camerounais.
Le Cameroun est empêtré dans un paradoxe: la dictature, en agitant un écran de fumée, impose de parler de démocratie. La définition de la nature du régime politique porte pourtant un enjeu trop sérieux pour qu'on l'abandonne au paradoxe. L'intérêt de la question va bien au-delà de simples préoccupations intellectuelles. Il s'agit pour les Camerounais de connaître le logiciel politique qui les gouverne et préside à leurs destinées; et en tant que peuple, de décider consciemment de l'accepter ou non. L'enjeu est de faire des Camerounais des acteurs véritables de la vie de leur pays, et de leurs propres vies. Le paradoxe entretenu sur cette question éloigne donc les Camerounais du foyer de leurs vies, pour les occuper mentalement à des considérations dont l'ineffectivité semble savamment orchestrée.
Le Cameroun est-il une démocratie ou une dictature ? C'est une question qui gène. Parce qu'elle ne sert à rien. Elle ne permet de résoudre aucun problème, pour la raison simple qu'il est impossible d'y répondre dans l'environnement camerounais. C'est une question qui ne permet que de tourner en rond intellectuellement. Les Camerounais vivent au quotidien la réalité de ce régime, et n'ont pas envie de s'épuiser dans un débat stérile. Étant donné qu'aucun des concepts de démocratie ou de dictature ne permet de saisir la réalité vécue par les Camerounais dans leur ensemble, opposer démocratie et dictature dans le débat public ne fait qu'accentuer l'impression d'être dans une impasse, et devient une source de découragement. Le paradoxe entretient le mythique "on va alors faire comment ?".
Le paradoxe est un phénomène toujours déroutant. Il plonge dans une dissonance mentale qui désoriente et paralyse. Il rend obsolètes des prédicats sur lesquels l'on a fondé parfois des constructions intellectuelles importantes. Il désarme donc intellectuellement et met en insécurité. Mais le paradoxe peut aussi être la passe vers une meilleure compréhension de la réalité. Dans certains courants de la religion bouddhiste zen par exemple, on utilise des énigmes et des anecdotes absurdes et paradoxales (les koans) pour aider l'élève spirituel à transcender la logique ordinaire et approfondir son sens de la réalité. Et si donc on essayait de transcender le paradoxe dictature démocratie au Cameroun ? Quelle réalité se trouve au-delà de cette question apparemment impossible ?
La clarification de la nature du régime politique soutient un enjeu sérieux. Celui de connecter l'expérience quotidienne des Camerounais à des concepts qui leur permettent de prendre du recul par rapport à leurs propres vies. Celui de dégager l'espace mental nécessaire pour penser leur devenir dans leur environnement. En faisant alors le choix du terme de sissiacratie pour définir le régime politique camerounais, ce n'est pas seulement pour le plaisir du néologisme, et encore moins par drôlerie. Contrairement à des concepts comme la démocratie ou la dictature, le sissia est un mot dont les camerounais ont eux-mêmes généralisé l'adoption, pour exprimer une réalité bien particulière. Le sissia est un phénomène essentiel de la société camerounaise, une réalité à laquelle chaque Camerounais est familier et comprend presqu'instictivement. Parler de sissiacratie c'est simplement considérer que cet omniprésent sissia tire sa source de la gouvernance politique. La sissiacratie est le gouvernement du sissia, par le sissia, et pour le sissia.
Au début de la lecture j'envisageais la fin mais je ne m'attendais pas à de telles tournures. C'est agréablement agencé. Chaque phrase retrouve son sens après l'autre jusqu'à la fin. La "sissiacratie", franchement, fallait l'inventer ha ha ha... Ça se comprend d'un coup. Parle-nous en plus... Celui qui fait le sissia c'est la main qui est au dessus, donc la sissiacratie ne serait pas finalement la dictature à la camerounaise ?
Analyse pertinente.